Retour sur la COP15 : un cas de leadership autochtone dans les efforts de conservation

Photo : Alpagas et lamas dans les Andes péruviennes (Abiran Sritharan)

Abiran Sritharan, Contributeur de contenu bénévole

Le 19 décembre 2022, les représentants de 188 pays se sont réunis à Montréal dans le cadre de la Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15) pour signer un accord visant à protéger 30 % des terres et des océans d'ici à 2030. Plus connu sous le nom d'engagement "30x30", les signataires se sont également engagés à atteindre 22 autres objectifs mondiaux, qui visent tous à ralentir la dégradation de la biodiversité et à restaurer les terres et les cours d'eau. Si certains considèrent cet engagement comme une étape importante, il n'a pas été exempt de critiques, notamment de la part de la communauté autochtone mondiale. Malgré la présence d'une importante délégation autochtone et une certaine reconnaissance de leurs droits dans l'accord, le sommet s'est achevé sans fournir de détails concrets sur la manière de travailler avec les populations autochtones pour atteindre les objectifs fixés en matière de biodiversité. Les groupes civils autochtones affirment également que l'objectif de 30 % n'est pas du tout assez ambitieux et qu'il devrait être d'au moins 50 %, certains réclamant même 80 % d'ici 2025. L'inquiétude ressentie par la communauté autochtone à l'égard des sommets et des accords mondiaux sur la conservation, tels que la COP15, n'est pas injustifiée. Historiquement, les programmes de conservation axés sur la création de zones protégées ont eu un effet perturbateur sur les peuples autochtones du monde entier et tendent à ignorer leurs droits inhérents à leurs terres et à leurs eaux (1). Mais pourquoi la participation et le leadership des populations autochtones dans le domaine de la conservation sont-ils essentiels pour atteindre les objectifs en matière de biodiversité et protéger l'environnement ?

Alors que les peuples autochtones ne représentent que moins de 10 % de la population mondiale, les terres qu'ils habitent abritent plus de 80 % de la biodiversité restante de la planète. Au Canada, où près de 5 % de la population s'identifie comme autochtone (Premières nations, Inuits et Métis), la biodiversité est beaucoup plus élevée ou égale sur les terres autochtones que dans les parcs gérés par l'État. Une étude menée en 2019 par des chercheurs de l'université de Colombie-Britannique a montré que les terres gérées par les autochtones en Australie, au Brésil et au Canada ont obtenu des résultats beaucoup plus élevés en termes de richesse des espèces (nombre d'espèces différentes) que les terres non autochtones. L'étude a également révélé que, rien qu'au Canada, la diversité des espèces d'oiseaux et de reptiles menacés était plus importante dans les zones autochtones que dans les parcs gérés par l'État (2). Les droits fonciers des peuples autochtones sont également de plus en plus reconnus au niveau national et international, ce qui souligne la nécessité d'obtenir le consentement des autochtones à des fins de conservation (3).

Mais ce n'est pas seulement parce que les terres autochtones sont particulièrement riches en biodiversité, c'est aussi en raison des nombreuses façons dont les peuples autochtones du monde entier ont pris soin de leurs terres depuis des milliers d'années. Ce savoir intrinsèque unique, appelé savoir traditionnel, est transmis de génération en génération et englobe diverses pratiques durables mises au point par les populations autochtones pour vivre et prospérer sur la terre sans perturber les écosystèmes (4). Les peuples autochtones du Canada ont une connaissance approfondie de leurs écosystèmes terrestres et aquatiques et cette sagesse peut être déterminante pour le succès ou l'échec des efforts de conservation. Il existe un nombre croissant d'exemples au Canada où les connaissances écologiques traditionnelles, combinées aux méthodes scientifiques occidentales plus classiques, constituent le cadre de programmes de conservation réussis. Dans le parc national des monts Torngats (NL), les scientifiques travaillent main dans la main avec les Inuits locaux pour préserver et gérer le parc. Le peuple inuit des Torngats y vit depuis des siècles et les scientifiques sont en mesure de puiser dans leur riche savoir pour informer les projets de recherche qui étudient le déclin des populations de caribous (5). En 2017, les gouvernements autochtones et les anciens ont proposé la création d'aires protégées et conservées autochtones (IPCAS) où les peuples autochtones joueraient un rôle de premier plan dans la gestion des aires de conservation conformément à leurs propres valeurs, lois et systèmes de connaissances. Récemment, le gouvernement Trudeau a annoncé un financement de 344 millions de dollars pour soutenir les efforts de conservation menés par les autochtones, dont 166 millions de dollars destinés à faciliter la création d'un plus grand nombre d'aires protégées et conservées autochtones.

Photo: Des fermiers autochtones gardent des alpagas et des lamas dans les Andes péruviennes. (Abiran Sritharan)

La nécessité d'impliquer activement les populations autochtones et de travailler avec elles pour atteindre des objectifs plus larges en matière de conservation semble évidente. Sans la participation et le leadership des autochtones, les accords mondiaux tels que la COP15 risquent de ne pas atteindre leurs objectifs. Mais la réconciliation des valeurs autochtones avec les objectifs environnementaux ne doit pas nécessairement se limiter à la scène mondiale. La compréhension de l'histoire, des droits et des valeurs des peuples autochtones peut commencer au niveau individuel, chez soi, ce qui est déjà un grand pas en avant.

Il existe de nombreuses ressources pour entamer ce processus et je vais vous laisser avec deux de mes préférées. Un bon début est Home on Native Land, un cours interactif en ligne fourni par RAVEN, "Respecting Aboriginal Values And Environmental Needs", un organisme à but non lucratif basé à Vancouver. Ce cours vous permet de découvrir les peuples autochtones du Canada et la manière dont leurs lois et leurs valeurs ont façonné un lien avec les terres et les eaux. Si, comme moi, vous préférez tenir un livre dans votre main, Braiding Sweetgrass, de Robin Wall Kimmerer, est un livre magnifique et souvent émouvant sur la valeur des enseignements autochtones et sur la façon dont le fait de les associer aux méthodes scientifiques modernes peut nous aider à établir une meilleure relation non seulement avec le monde naturel, mais aussi avec nous-mêmes. J'aimerais terminer par l'une de mes lignes préférées du livre, qui est enracinée dans les valeurs amérindiennes :

“We need berries, and the berries need us. Their gifts multiply by our care for them and dwindle from our neglect. We are bound in a covenant of reciprocity, a pact of mutual responsibility to sustain those who sustain us”

- Robin Wall Kimmerer, Braiding Sweet Grass


Références

1. Witter, R., & Satterfield, T. (2019). The Ebb and Flow of Indigenous Rights Recognitions in Conservation Policy. Development and Change, 50(4), 1083–1108. https://doi.org/10.1111/DECH.12456

2. Schuster, R., Germain, R. R., Bennett, J. R., Reo, N. J., & Arcese, P. (2019). Vertebrate biodiversity on indigenous-managed lands in Australia, Brazil, and Canada equals that in protected areas. Environmental Science & Policy, 101, 1–6. https://doi.org/10.1016/J.ENVSCI.2019.07.002

3. Artelle, K. A., Zurba, M., Bhattacharrya, J., Chan, D. E., Brown, K., Housty, J., & Moola, F. (2019). Supporting resurgent Indigenous-led governance: A nascent mechanism for just and effective conservation. Biological Conservation, 240, 108284. https://doi.org/10.1016/J.BIOCON.2019.108284

4. Fraser, D. J., Coon, T., Prince, M. R., Dion, R., & Bernatchez, L. (2006). Integrating traditional and evolutionary knowledge in biodiversity conservation: a population level case study. Ecology and Society, 11(2). https://www.jstor.org/stable/26265998

5. Festa-Bianchet, M., Ray, J. C., Boutin, S., Côté, S. D., & Gunn, A. (2011). Conservation of caribou (rangifer tarandus) in Canada: An uncertain future. Canadian Journal of Zoology, 89(5), 419–434. https://doi.org/10.1139/Z11-025

Additional Supporting References

1. Democracy Now! Major U.N. Biodiversity Deal Recognizes Indigenous Rights But Lacks Critical Enforcement Measures | Democracy Now! (n.d.). Retrieved February 17, 2023, from https://www.democracynow.org/2022/12/21/almost_all_countries_in_the_world

2. National and international frameworks | Australia state of the environment 2021. (n.d.). Retrieved March 4, 2023, from https://soe.dcceew.gov.au/climate/management/national-and-international-frameworks#-cli-21-figure-21-indigenous-peoples-and-the-environment

3. Statistics Canada. Indigenous population continues to grow and is much younger than the non-Indigenous population, although the pace of growth has slowed. Retrieved February 17, 2023 from https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220921/dq220921a-eng.htm?indid=32990-1&indgeo=0

4. Government of Canada (2012). Two paths, one destination. Retrieved February 17, 2023 from https://parks.canada.ca/nature/science/autochtones-indigenous/torngat

5. Establishing Indigenous Protected and Conserved Areas: The Jurisdictional Spectrum | Environmental Justice and Sustainability Clinic. (n.d.). Retrieved March 4, 2023, from https://ejsclinic.info.yorku.ca/2022/03/establishing-indigenous-protected-and-conserved-areas-the-jurisdictional-spectrum/

6. Sivasankaran, J. Government of Canada announces $340 million to support Indigenous-led conservation - Canada.ca. (n.d.). Retrieved February 17, 2023, from https://www.canada.ca/en/environment-climate-change/news/2021/08/government-of-canada-announces-340-million-to-support-indigenous-led-conservation.html

7. Kimmerer Wall, R. (2015). Braiding Sweet Grass. Milkweed Editions.

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